Tué par la solitude. Haruki Watanabe avait 60 ans, tout sauf un âge avancé, et se négligeait depuis au moins plusieurs années. Autrement dit : Haruki ne sortait quasiment pas et ne voyait quasiment personne. Si ce n’est personne. Pourtant, il fut un temps où Haruki avait une femme et un fils. Mais tout cela appartient à un passé lointain. Son fils ? Cela faisait des années qu’ils ne se parlaient plus. Parce que ce dernier n’en voyait pas l’intérêt.
Désormais, Watanabe est mort. Mort depuis trois semaines. L’odeur de son corps décomposé commençait à infester tout l’appartement. À coté du cadavre, dont la silhouette rance est toujours visible sur le sol, règne un triste bazar. Sachets de ramen instantanés, cendrier consumé, bouteilles d’eau en pagaille, draps de lit empestant l’urine, assiettes pas lavés et accumulant pourriture et poussière. Une simple minute passée dans ce taudis et c’est la déprime assurée.
Apparemment, il se pourrait que Watanabe se soit lentement laissé mourir du fait de difficultés financières : endetté, il ne parvenait plus à payer le loyer et c’est son propriétaire, agacé de ne pas recevoir de réponses, qui s’est décidé à venir sonner chez lui. On connait la suite. Et ce phénomène n’est pas isolé : bien au contraire, avec une population japonaise de plus en plus vieillissante et une incapacité croissante à se metre en couple, la tragédie de Watanabe porte d’ores et déjà un nom : le « Kodokushi ».
Soit « Celui qui meurt de solitude ». Apparu à partir du grand tremblement de terre de 1995, qui avait forcé des milieux de seniors japonais à se faire reloger dans des résidences inconnues, le « Kodokushi » s’est fermement agrippé chez nombre d’entre eux et les a poussé à se négliger puis à mourir. Pourtant, ce n’est pas comme s’ils ne se nourrissaient plus mais le simple fait de se sentir seul, désespérément seul, a suffit à détruire leur corps et leur coeur. Mes pensées à tous les Kodokushi du Japon et du monde. Quelle tristesse.
Merci, sincèrement.